Après, Gainbourg (Vie héroïque ) et Le Chat du Rabbin, le cinéaste – dessinateur, adapte le Polar à clés et déroutant de Sébastien Japrisot. Dans le sillage de son héroïne, il nous entraîne dans un tourbillon de surprises en forme de jeu pistes et d’interrogations sur la manipulation , empreint de références cinématographiques. Un divertissement à la fois sophistiqué et intelligent qui distille , un vrai et pur plaisir du récit et de cinéma . On a aimé, et on vous invite à vous y laisser entraîner …

Elle porte des lunettes de myope , et a un regard de feu aussi envoûtant que sa chevelure rousse , une silhouette aux déhanchements voluptueux et des jambes que François Truffaut aurait aimé ajouter à la panoplie de celles admirées par L’homme qui aimait les femmes. Est-elle fatale ? , on ne saurait le dire , mais elle appelle l’attraction et le mystère. Et on est aussitôt, dès les premières séquences pris au piège d’une présence qui distille à la fois une certaine assurance , en même temps que cette fragilité que la première image du film révèle, en forme de quête d’un rêve obsessionnel « je n’ai jamais vu la mer » . Et c’est celui-ci , qui fera bifurquer la destinée de Dany ( Freya Mavor , Superbe. Révélée par la série Skins ) , cette employée de bureau, qui, après avoir passé la nuit à taper un document important au domicile de son patron ( Benjamin Biolay) a dû l’ accompagner à l’aéroport avec son véhicule particulier qu’elle aura la charge de ramener. Sur le chemin du retour , elle bifurque soudainement prenant la direction du Sud…pour aller voir cette mer rêvée. Elle aura toujours le temps, se dit-elle le week-end aidant, de ramener la belle auto au domicile de son patron . Mais voilà qu’au long de son trajet, les choses vont se compliquer. A une station d’essence elle se fait mystérieusement agresser et blesser à un poignet , les témoins de l’incident prétendent l’avoir déjà vue , la veille, sur les lieux de ce trajet qu’elle va malgré tout poursuivre… mais une angoissante question ne cesse d’envahir son esprit hanté par tant d’incidents dérangeants et de coïncidences étranges : « suis-je devenue folle ? » , se demande-t-elle.

( première séquence du film )
Aidé par ses scénaristes ( Gilles Marchand et Thierry Godeau ) , Joann Sfar qui s’est penché , après Anatole Litvak en 1970, sur l’adaptation du roman de Sébastien, Japrisot , a fait des choix cherchant à traduire avec fidélité l’esprit et la dimension cauchemardesque des événements dans lesquels, Dany, se retrouve mystérieusement entraînée. Et cette fidélité d’esprit, il a choisi de l’inscrire dans ce qui fait la particularité à la fois de son œuvre ( bande dessinée et cinématographique ) dont les thématiques qui y sont inscrites font partie de l’imaginaire de l’auteur dont les influences artistiques ont enrichi la vision. A l’évidence , ici , l’hommage à un certain cinéma de son adolescence a été déterminant dans la conduite des choix de son adaptation et de mise en scène qui s’y inscrivent, avec le plaisir évident du partage . Celui qui est nécessaire pour faire pénétrer le spectateur dans un mécanisme d’emprise et de récit cauchemardesque où les éléments de toute logique basculent et sèment le doute dans l’esprit de Dany qui perd pied. Et ils doivent -aussi – trouver écho chez lui , emporté par le tourbillon d’un récit dont la mise en scène , lui renvoie les éléments de cette logique qui s’évanouit et du factice ( de l’absurde ) qui la domine . Dès lors , celui-ci se retrouve à égalité avec Dany… l’univers du « vertigo » d’hitchocock n’est pas loin, ni même celui de Kafka…

On ne vous entraînera pas plus loin dans les méandres d’une intrigue qui se plaît à compliquer les choses pour mieux nous en faire perdre la logique . Cauchemar , manipulation , ou folie et autres plongées dans l’inconscient , en constituent le cœur qui joue justement sur les éléments d’un équilibre mental pris au piège . Dès lors , le jeu du récit et de la mise en scène devient essentiel pour immerger , aussi , le spectateur dans celui-ci . Le thème du double présent dans l’oeuvre du dessinateur-cinéaste et sa passion -cinéma qui s’y ajoute , étaient le chemin idéal pour y parvenir . Celui , qui invite le spectateur au partage des sensations , des émotions. … celles du rêve- cinéma ( de la magie – cinéma ), qui ouvre à tous les possibles . C’est la belle idée de Joann Sfar que de l’avoir mis en pratique et au cœur de cette adaptation qui offre au « polar » de Sébastien Japrisot , une belle dimension esthétique et visuelle . Et Joann Sfar s’est à l’évidence fait plaisir – on l’a dit- en multipliant ses références et citations, qui viennent servir et enrichir , son récit et sa mise en scène. Le film en est rempli , à l’image de ces vignettes qui rappellent la technique de la BD ou de ces flashs ( avant ?) intercalés au cœur d’une scène pour semer encore un peu plus le doute, ou encore, avec ces séquences remplies d’idées visuelles ( celle du temps qui passe symbolisé par les images de plans qui défilent de gauche à droite de l’écran , ou ces inserts en gros plan au cœur d’une scène sur un objet révélateur …ou destiné à faire diversion ). Sans oublier tous ces personnages secondaires ( le garagiste et autres habitués de la station service , les routiers, le gendarme , le réceptionniste de l’hôtel , la dame qui a vu …) . Et puis , il y a cette complexité , cette ambiguïté et ce mystère qui entoure les personnages principaux, à l’image de celui qui accompagne le magnifique personnage du jeune homme aux yeux noirs ( Elio Germano , étonnant ) qui vient s’inscrire au coeur de la seconde partie du récit pour la compliquer encore , un peu plus …

Tous ces éléments qui contribuent à un véritable plaisir de cinéma auquel nous avons étés sensibles , Joann Sfar, dans le dossier de presse du film, nous donne les explications de ce qui a été au cœur de son désir d’adaptation « une histoire que je me suis amusé à remplir, en douce, de mes réminiscences du roman et de mes souvenirs de cinéma , celui des années 1970 qui m’a constitué (…) j’ai grandi en lisant des polars de Jonquet , de Manchette , de Japrisot . Ils m’ont nourri au point qu’une partie de mon imaginaire leur doit énormément. L’idée du double ( que l’on retrouve dans beaucoup de mes BD et mes films ), l’idée du rêve , de la culpabilité… » . Et côté cinéma , dit-il « il y a le langage des films que je voyais petit – ceux des années 1975-80- Claude Sautet, François truffaut et les séries B Américaines (…) je suis allé chercher dans les classiques de la nouvelle vague comme dans les vieux films de truands ou les mélos des années 60 . Dans le Galia de Lautner comme dans Week-End de Godard . Dans Le Passage de la Pluie ( que je cite dans le film ) et dans certains Truffaut . La Dame dans l’auto , est dans cet entre-deux » , dit Yoann Sfar , cet enfant du cinéma qui ajoute – en vrac – à sa liste des genres : le western. Et à celle des cinéastes qui ont nourri son imaginaire de Créateur : Louis Feuillade , Jean Renoir , Akira Kurosawa ( » Yojimbo dans ses cadrages sa musique , m’a beaucoup accompagné « , dit Sfar ) , Jean Cocteau , Francis Ford Coppola , fritz lang , Ernest Lubitsch, et même ,Roger Corman …

Et son film respire ces influences qu’il a su intégrer pour construire l’originalité de son propre univers et de son cinéma dont elles constituent la richesse patrimoniale qui le dynamise. Et c’est ce que l’on a ressenti et que l’on a aimé , tout au long de la projection de son nouveau film , la Dame dans l’Auto …
( Etienne Ballérini)
LA DAME DANS L’AUTO AVEC DES LUNETTES ET UN FUSIL de Joann Sfar (2015)
Avec : Freya Mavor, Benjamin Biolay , Elio Germano , Stacy Martin , Tierry Hancise….