C’est à un émouvant spectacle auquel j’ai assisté hier au TNN, « J’avais un beau ballon rouge »interprétée par Richard et Romane Bohringer, une pièce d’Angela Dematté, pour entamer le printemps des femmes
Angela Dematté naît à Trente. Après le lycée, elle part vivre à Milan, où elle travaille avec Silvio Castiglioni et Mimmo Cuticchio. Parallèlement, elle suit des études de Lettres Modernes et fait son mémoire de maîtrise sur l’actrice Lucilla Morlacchi, qui devient pour elle un « maître » fondamental.
Comédienne, elle travaille avec différents metteurs en scène parmi lesquels : Peter Clough, Walter Pagliaro, Pietro Carriglio, Bruno Fornasari ou encore Mario Gas.
Avec la compagnie Cantiere Centrale, dirigée par Andrea Chiodi, elle joue un monologue dont elle est l’auteur Marija Judina, la pianiste qui a ému Staline. En 2009, elle gagne le Prix Riccione de la dramaturgie avec son premier texte Avevo un bel pallone rosso (J’avais un beau ballon rouge) ainsi que le Prix Golden Graal Astro Nascente pour le Théâtre.
Voilà pour l’auteur. Quant à la pièce, elle traite, d’une certaine manière, de la rencontre, de l’interconnexion entre une histoire familiale et la grande histoire. L’intime, c’est la relation entre son père et sa fille. Mais la fille n’est autre que Margherita Cagol (née également à Trente) dit Mara, compagne de Renato Curcio, fondateur des Brigades Rouges et la pièce relate indirectement leur naissance et montée en puissance.
Et l’écriture de la pièce est poignante, elle montre comment le père ne lâche jamais prise face à l’idéologie intransigeante de sa fille et que l’amour entre deux êtres, ici père et fille, peut-être fait de non-dits et d’incompréhension. C’est de cela, du relâchement de ces liens que va sourdre cette incompréhension. « La barque amour s’est brisée contre le mode de vie », dirait Maïakovski. Je serais presque tenté de dire que la relation à l’Histoire est presque un épiphénomène.
Bien sur que les Brigades rouges ne sont pas un « épiphénomène » non plus que la situation politique de l’Italie dans ce début des années de plomb (la pièce se déroule de 1963 à 1975). Car il faut toujours avoir en tête le contexte.
Contexte, comme le livre éponyme de Léonardo Sciacia, traitant de cette période. Et la pièce nous le rend palpable, ce contexte. Puisque nous parlons livre, une autre œuvre traite de cette période, le livre de Simonetta Greggio, « Dolce Vita 1959-1979 » (voir article) qui parle bien sûr des Brigades Rouges mais aussi de Margherita Cagol, et de sa fin. Je me permets de vous renvoyer fortement à ce livre, disponible en livre de Poche. La mort de Margherita Cagol va accélérer le processus de radicalisation des Brigades Rouges.
Autre émotion, l’interprétation, confiée par le metteur en scène Michel Didym à un couple magique réellement père et fille, Richard et Romane Bohringer. Vous voulez que je vous parle de « monstres sacrés » ? Hé bien, je n’en parlerai pas. Les clichés, très peu pour moi. Sachez que l’on sens, que l’on devine dans le jeu qu’il y a autre chose que celui de deux grands comédiens, qu’il y a une imperceptibilité d’un lien qui se tisse, d’un courant qui passe, d’une reconnaissance, un regard d’amour. Pendant de fugaces moments, ce n’est plus Margherita et son père, c’est et Richard. Et ça fait du bien.
Les voix, ou devrai-je dire les grains des voix, ajoutent au climax de la pièce : autant celle de Romane est claire, comme la rudesse idéologique d’elle va endosser, autant Richard nous offre une palette de « sfumato » qui va voiler sa voix, la rendre à la limite du rauque, à l’instar de la perdition du personnage, qui se pose, on le sent bien, à chaque moment cette question : « où et quand cela a – t’il dérapé ? »
Ce théâtre est un théâtre de la justesse. Il ne cherche pas à dire « Les Brigades Rouges, c’est bien » ou « Les Brigades Rouges c’est pas bien », il parle de l’amour – malgré tout- entre un père et une fille. Le titre renvoie à l’enfance perdue. La séquence d’ouverture, poignante, est une véritable ouverture d’opéra. Elle donne le la. On la retrouve, intacte, brulante d’émotion, à la toute fin. Elle devient la coda. A propos de musique, noter celle Vassia Sagar, qui nous « codifie » ce fameux climax.
Jacques Barbarin
« J’avais un beau ballon rouge » au TNN jusqu’au dimanche 17. Séances à 19h30 le jeudi, 20h vendredi et samedi, 15h dimanche
Samedi 16 à 17h Lecture avec Romane Bohringer et Irina Brook – Salle Michel Simon Entrée libre
Metteur en scène: Michel Didym. Et non Éric Dym. Merci!
Merci de la correction. C’est donc corrigé dans le texte.