Cinéma / UN PIGEON PERCHE SUR UNE BRANCHE … de Roy Anderson.

 

Le cinéaste Suédois continue à s’interroger sur la dureté de l’existence ,dans ce troisième volet d’un cycle consacré au thème, porté ici encore, par une mis en scène où l’humour caustique explose dans le cadre des plans fixes qui la construisent. Un régal… Lion D’or au Festival de Venise 2014.

l'Affiche  du Film.
l’Affiche du Film.

L’homme, sa difficulté d’être et sa place dans le monde est le thème central de l’univers du cinéaste Suédois dont sa « trilogie » des vivants commencée avec Chanson du deuxième étage ( 2000 ) et poursuivie par Nous les vivants ( 2007 ), pose la question de la difficulté de vivre, explorée encore, ici , dans ce dernier chapitre dans lequel tous les personnages se la posent et la ressentent au quotidien. Confrontés à toutes les difficultés qui s’y attachent , et tentant de trouver ( ou de garder ) la foi dans l’obscurité qui les entoure, pour ne pas perdre espoir. Alors , même si ce n’est pas facile compte tenu des embûches traversées qui incitent au pessimisme, autant rester zen, et … en rire. C’est un peu le côté Mr Hulot de Jacques Tati qui habite les personnages de Roy Anderson , inadaptés au monde qui les entoure, en décalage constant ave lui , comme l’illustre les séquences de cet homme perdu se rendant à un rendez-vous à une certaine adresse qui se révèle introuvable et dont personne ne saura le renseigner sur son existence. Alors, chez Roy Anderson humour et pessimisme, se mélangent dans une sorte de Cocktail où la chaleur et l’humanité se retrouvent confrontées parfois à l’horreur et l’inacceptable. Dès lors, les tableaux et les saynètes qui illustrent le récit se remplissent comme c’était , hier , le cas chez Pier Paolo Pasolini dans Uccelacci e Uccelini ( Oiseaux petits et grands / 1966) ) , d’une réflexion philosophique sur le monde débitée par le Corbeau, qui accompagnait l’errance sur les routes des personnages de Toto et de Ninetto, la légèreté et le sourire, en coin .

Les vendeurs de farses et atrappes
Les vendeurs de farses et atrappes

Le choix d’une mise en scène en tableaux et en plans fixes ( ils sont au nombre de trente Neuf ) qui déjà accompagnaient les deux premiers volets de la trilogie du cinéaste , s’inscrivent donc dans une continuité voulue, dont le but est de recréer le réel pour le transcender en une chorégraphie inventive où la poésie, la fantaisie et le sourire frondeur viennent s’inscrire en miroir de la gravité et du pessimisme, pour nous donner à voir ces hommes et ces femmes qui s’accrochent au quotidien … comme l’illustrent en « fil rouge » du récit ces deux vendeurs de farces et attrapes ( Holger Anderson et Nils Westblom, épatants) qui malgré les affaires qui périclitent, gardent la foi en leur mission «  on veut aider les gens à rire ! » disent-ils en présentant à la ronde aux futurs clients leur nouveau gadget : le masque « du vieillard édenté » destiné, qu’il espèrent leur permettra de renflouer leurs poches bien vides. Mais dans le monde tel qu’il est ( qu’il a été , et, qu’il deviendra …) , pas si facile d’y retrouver le bonheur et la sérénité. Les Tableaux vivants de Roy Anderson, balaient les époques et y inscrivent les télescopages des misères et des solitudes , pour, à l’image de la séquence d’ouverture, nous solliciter à pénétrer dans un musée d’histoire où l’on viendrait contempler ces personnages-spécimens, anonymes et singuliers qui traversent son récit et nous inviter , dans leur sillage, à un « voyage » au cœur d’une humanité qui se désespère, mais trouve dans le recul de l’humour, la force de vie nécessaire et une certaine sagesse.

a la recherche de la bonne adresse
a la recherche de la bonne adresse

Roy Anderson remplit totalement le cadre de ses tableaux de cet humour en forme de sursaut et de constat , et il l’inscrit d’emblée dès la première scène de la visite du musée où les visiteurs semblent -déjà- s’inscrire pour faire partie des meubles , et, comme s’il fallait enfoncer le clou , ce sont trois tableaux de variations sur la mort qui viennent interpeller ensuite le spectateur avec l’humour en décalage , qui vient y poser  sa « triste » réalité, à l’image de cette vielle femme sur son lit de mort à l’hôpital à laquelle sa famille veut arracher des mains sa bourse de bijoux …avec laquelle elle veut être accompagnée dans l’autre monde !. Elles sont nombreuses les saynètes , et ils sont magnifiques les personnages qui les habitent pour nous donner à voir et à comprendre toute une humanité qui y vit et y vibre avec ses angoisses et ( ou) ses espoirs , que le cinéaste croque avec un amour infini …y compris dans la manière dont leur gaucherie traduit, leur inadaptation et leur solitude. A l’image , encore, de cette irrésistible scène où au cœur d’un groupe attendant le bus, suite à la remarque « encore un mercredi !» la discussion s’invite autour de la distraction d’un personnage qui s’est trompé de jour pour ses rendez-vous , et se termine en une leçon de logique sur le « chaos » qui surviendrait si les gens ne respectaient plus l’ordre immuable des jours de la semaine !. Car ,au delà des scènes de la vie familiale ou celles du travail ,et des accrochages qui s’y inscrivent ( disputes familiales, ou rivalités dans le travail ) , il y a surtout les scènes de vie sociale et collectives qui sont une sorte de mine d’or que le cinéaste exploite magnifiquement pour y faire éclore toute la variété des comportements, en même temps qu’il y individualise les portraits sensibles. Comme celui du vieil habitué d’un bar «  au rythme d’un verre ou plus par jour , ça en fait des litres de Schnaps accumulés ! », dira quelqu’un ) que l’on aide à rentrer chez lui ; ou encore , le portrait de cette aubergiste boiteuse que l’on interpelle ( comme chez Alain Resnais) sur un air de chanson : « et ceux qui n’ont pas d’argent pour payer, comment peuvent-ils payer les boissons ? », et qui répond « avec des baisers ! », sur le même air de mélodie .

L'aubergiste boiteuse et ses clients
L’aubergiste boiteuse et ses clients

Toutes ce scènes sont jubilatoire, en même temps qu’elles traduisent une certaine forme du vivre ensemble et de solidarité. Mais, le cinéaste qui a inscrit dès les premières scènes la gravité ( la mort ) , qu’il invite dans le même cadre de ses tableaux vivants et réalistes en y inscrivant d’abord le décalage de l’histoire et de la dérision avec ce Roi partant en guerre contre les Russes avec son imposante armée et qui fait « pause » dans un bar pour s’y faire servir à boire avec toute la déférence qui lui est due …puis reviendra dans le même endroit blessé et battu après sa campagne de guerre absurde, devant faire face aux jeunes veuves qui ont perdu leurs maris au combat. Tandis que, revenus au présent, c’est dans la continuité d’une autre défaite -celle du délitement social – que les choses vont se précipiter avec les conflits qui s’enveniment dans la sphère de la vie privée, dans les rapports de travail et au cœur des rapports sociaux. Comme l’illustre la déconfiture du couple de vendeurs de farces et attrapes , poursuivis par leur patron à qui ils doivent l’argent que leurs dépositaires n’ont pas les moyens de leur rembourser. Nos deux amis vont se fâcher et se séparer…plus question d’en rire et de faire rire les gens. D’ailleurs quelque chose semble s’être détraqué dans ce monde , et la violence des rapports comme le repli sur soi , prennent le relais, à l’image de ces immeubles que la surveillance rend inaccessibles et à l’intérieur desquels les disputes entre voisins se multiplient sur les bruits de voisinage « il y a des gens qui travaillent et veulent dormir ! », qui ont pris le relais des amabilités « je suis content de savoir que vous allez bien », échangés jadis. Et puis , il y a cette étrange machine de mort qui tout à coup ‘installe dans le paysage paisible et y fait entrer la tragédie et l’horreur de l’indicible dont , l’homme est -aussi- capable . Glaçant. « c’est un voyage qui révèle l’humour et la tragédie cachée en nous, la grandeur de la vie , ainsi que l’extrême fragilité de l’humanité », explique le cinéaste .

l'étrange machine  à tuer
l’étrange machine à tuer

Et cette « dualité » il la décrit avec une sensibilité, une intelligence et une inventivité d’écriture et de mise en scène où l’homme est au centre et au cœur , aussi étonnante qu’efficace qui ose les oppositions de tonalités et de style où la satire et la gravité s’inscrivent au cœur de la fantaisie et de la poésie .Permettant dès lors, au pigeon perché sur une branche de philosopher sur l’existence … avec une liberté de ton rare et jubilatoire. Laisser vous donc porter et entraîner dans l’univers de ce cinéaste …

UN PIGEON PERCHE SUR UNE BRANCHE, PHILOSOPHAIT SUR L’EXISTENCE de Roy Anderson – 2014-
Avec : Holger Anderson, Nils Westblom, Charlotta Larson , Viktor Gyllenberg …

(Etienne Ballerini)

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