Mr TURNER de Mike Leigh .
Présenté en Compétition Officielle au Festival de cannes en Mai dernier , le nouveau film de Mike Leigh y avait été à l’honneur et au palmarès final avec le prix d’interprétation décerné au comédien , Timothy Spall , qui interprète le célèbre peintre . Mike Leigh nous invite dans le sillage de son héros à pénétrer le mystère de la peinture et de la créativité …

Le grand cinéaste Anglais dont on n’a pas oublié Secrets et Mensonges ou Vera Drake ( Lion d’Or à Venise ) est à la fois un portraitiste social ,et aussi, un fin décrypteur de l’univers artistique dont il a par exemple traité l’art du divertissement dans Topsy-Turvy ( 1999) . Cette fois-ci il revient au thème de la création en explorant certaines facettes dont le célèbre peintre Anglais J.M W. Turner ( 1775- 1851) lui permet de mettre à jour à la fois les contradiction d’un homme et d’un Artiste complexe à la fois vulnérable , excentrique , intransigeant et (ou ) insupportable , mais également révolutionnaire , visionnaire,et poète , qui a laissé une œuvre prolifique dont dans une des répliques du film il répond à un acheteur richissime qui lui offre le « banco » qu’il refuse parce qu’il préfère « la léguer à l’état pour qu’elle soit exposée dans son intégralité et gratuitement pour le public » . Au delà de réplique, il y a la profonde implication d’un homme et d’un artiste et du rapport qu’il entretien avec l’argent et la célébrité , en même temps qu’ avec le monde de la critique et des marchands d’Art , qu’il fustige…
Mike Leigh s’amuse beaucoup à portraitiser cet homme qui se distingue par ses grognements sur tous les tons quand il s’agit de se défausser pour éviter de répondre à ses confrères qui se réunissent souvent autour d’expositions où l’on se hait autant que l’on se congratule . On y joue aux artistes maudits ou aux génies , tandis que les critiques pédants se donnent en spectacle . Mais c’est surtout l’itinéraire artistique d’un homme dont le cinéaste cherche à traduire en termes cinématographiques dans le temps, les tâtonnement et l’évolution de sa peinture qui prend forme . Un peu comme l’avait fait Maurice Pialat dans son Van Gogh. Au delà de l’homme Vulnérable , imparfait , voire grossier mais aussi fragile , qui va trouver une certaine plénitude créatrice en même temps qu’une certaine stabilité affective auprès de cette femme MrsBooth ( Marion Bailey) , avec laquelle il va partager la fin de sa vie .

Et c’est cet aspect de l’action créatrice qui est la belle réussite du film porté par une mise en scène qui s’attache à en traduire toutes les phases qui y participent jusqu’au miracle de cette dernière « touche » finale qui lui offre sa vraie dimension. Une scène magnifique , la plus belle du film qui pourtant en compte beaucoup , qui nous fait les témoin de l’instant . Il s’agit de la scène qui se déroule la veille de l’ouverture de l’exposition de l’Académie royale , journée au cours de laquelle les artistes ont la possibilité de porter la dernière touche à leur œuvre . On y voit Turner pénétrer dans la salle où est exposé une de ses toiles marines près de celles d’autres artistes dont celle d’un certain Constable , un tableau représentant une scène de guerre ( la bataille de Waterloo) . Geste provocateur de Turner qui surgit dans la pièce qui crache sur sa toile et à l’endroit humidifié appose une touche de rouge dont il changera ,d’un coup d’ongle quelques instants plus tard , l’aspect, pour lui donner la forme d’une bouée de sauvetage .
Superbe séquence, qui nous offre à la fois le double aspect d’une réflexion sur l’acte créatif , en même temps qu’elle définit par le personnage qui l’incarne et le met en mouvement , cette sorte de symbiose ( animale, ici …) qui participe , et fait sourdre la créativité . Il faut voir , encore la gestuelle ( grimaces , grognements …) qui accompagnent le peintre dans son atelier face à la toile . De la même manière que l’on voit ce dernier tout concentré sur son travail, multiplier croquis et esquisses, parcourir lieux et paysages pour y trouver des repères inspirateurs , s’enivrer de sensations et se pénétrer de couleurs qui vont servir de motifs chromatiques à ses tableaux .

Sa quête est une sorte de nécessité qui va lui permettre de se pénétrer de tous les éléments nécessaires quitte à donner de sa personne pour pouvoir en « accoucher ». Comme l’atteste la légende selon laquelle il se serait attaché au mât d’un navire pour « tester » les véritables sensations en pleine tempête . De la même manière que son appétit artistique se nourrit de mise en scène ( le portrait au bordel) et de l’apport ( l’influence ) d ‘une certaine tradition picturale ( Hollandaise , Allemande ) et musicale ( Purcell), dont Mike Leigh nourrit son récit ( image et illustration sonore ), auxquelles s’ajoutent ces souffrances intimes ( la décès de sa sœur en bas-âge , la mère internée en asile … ou le propre dégoût de soi-même ) ,dont seule, la quête de la perfection , de la beauté, ou encore le refuge dans la religion, retrouvent leur écho dans le travail sur la lumière, dans ses toiles …
Turner s’inscrit dans le sillage de ces films qui comme le Van Gogh de Maurice Pialat déjà cité , ou encore, comme La belle Noiseuse de Jacques Rivette, nous invitent à pénétrer au cœur des arcanes et la complexité de la créativité picturale .
(Etienne Ballérini )
MR TURNER de Mike Leigh – 2014- Sélection Officielle Festival de Cannes-
Avec: Tomothy Spall, Dorothy Atkinson, Marion Bailey, Paul Jesson, Lesley Manville, Martin Savage, Joshua McGuire…