
Depuis 35 ans, les Musiques d’Aujourd’hui ont leur festival d’automne, cette année ce sera du 15 au 30 novembre. Tous les lieux culturels de la ville de Nice ainsi que le théâtre de Grasse proposent une série de concerts et d’ateliers afin d’aller à la découverte de cette musique innovante supportée par les moyens technologiques d’aujourd’hui, mis en œuvre par le CIRM. Créé en 1967 par le compositeur Jean Etienne Marie, le CIRM (Centre National de Création Musicale) fait partie des six centres en France qui dominent la création musicale en faisant connaître la musique contemporaine en recevant des compositeurs en résidence, en mettant à disposition des supports technologiques innovants et en organisant des stages et des conférences avec de nombreuses professions de l’industrie musicale et des organisateurs d’évènements dans le monde entier. Depuis 2006, le CIRM de Nice travaille toute l’année avec l’université américaine de Berkeley et, bien sûr, la finalité de ce travail se traduit tous les ans par le festival Manca, un rendez vous mondial avec près de 40 compositeurs représentant 18 nations. Le thème de cette 35ème édition, Futurs Antérieurs, est aussi prometteur que l’an dernier, il s’appelait Rayon Vert, on dit que celui qui est frappé par ce rayon a le pouvoir de lire clair dans les sentiments et les cœurs, avec ce nouveau rendez vous un nouveau titre comme le précise François Paris directeur du CIRM et des Manca « …Définir le titre Futurs Antérieurs, c’est aussi simple que ce que l’on fait aujourd’hui, forcément ça vient d’hier, c’est-à-dire, on est fortement influencé même avec des jeunes compositeurs, vous allez trouver des influences, Debussy, Beethoven, etc.…donc, çà c’est hier et en même temps, vous allez trouver des intuitions, des fulgurances comme çà qui vont nous conduire vers ce qui se fera demain. On essaiera vous, comme moi, de les décrypter, dans le meilleur des cas, on sera surpris mais on sera incapable d’en tirer les conséquences, ces futurs qui se construisent sur la base du passé, c’est donc la définition du Futur Antérieur »

– J’ai bien écouté votre présentation, c’est ce mot émotion qui m’a intéressé, comment avoir de l’émotion quand on écoute de la musique contemporaine, comment faites vous tous les ans pour amener du public ?
F P : « C’est assez simple, je vais vous raconter une anecdote qui résume bien les choses. Dans les années 90, je n’étais absolument pas initié à l’art contemporain et un jour, j’ai visité une expo en Italie avec une amie, c’est une spécialiste de l’Arte Povera, mouvement italien…à un moment, elle se retourne vers moi et elle me dit, arrête de regarder çà avec tes yeux du 19ème siècle, je lui dis qu’est ce que ça veut dire et elle me dit, tu regardes les œuvres et tu mets un cadre autour exactement comme au 19ème…finalement, je me suis dit, en musique, c’est exactement la même chose. Si on arrive avec des présupposés en se disant, j’ai écouté çà chez Beethoven, chez Brahms, chez Mahler, etc.…évidemment, ça ne marche pas, on ne va pas retrouver ses repaires, ce qu’il faut, c’est simplement arriver avec les oreilles ouvertes et puis laisser aller ses sensations, c’est pour celà que je parlais d’émotion…très souvent, en matière de culture on arrive avec des pré supposés, alors on essaie de retrouver des références, on se dit, ah oui, j’ai déjà entendu çà quelque part…ça me rappelle…etc.…alors que ce n’est pas du tout ce qu’il faut faire, il faut arriver complètement libre, après, quand on connaît bien ce répertoire, on arrive à retrouver les mêmes repaires mais pour un néophyte, pour quelqu’un qui ne connaît pas, il faut arriver avec le maximum de curiosité, c’est un mot très important curiosité ainsi que sensation, émotion… »

– Je vous ai entendu aussi évoquer une partie intéressante de cette manifestation, c’est le partage ?
FP : « Oui, il y a plusieurs partages, il y a le partage international évidemment avec ce grand focus qu’on fait sur la Chine cette année, il y a le partage avec les générations, on ouvre ce festival avec une conférence avec l’UNIA, l’Université inter âge pour aller vers nos aînés, pour expliquer ce qui se passe à travers ce festival, une grande fierté dans mon cas, c’est qu’on a vraiment une diversité de public. Bien évidemment, la musique contemporaine n’est pas facile pour tout le monde, néanmoins certaines œuvres sont beaucoup plus abordables que d’autres…selon moi, c’est la charge émotionnelle, la force de l’inspiration qui communiquent avec l’auditeur, quelle que soit l’époque où est née l’œuvre…quand on tordra le coup à cette vieille idée que la musique contemporaine, c’est un truc élitiste qui ne concerne que des gens qui seraient enfermés chez eux à calculer des trucs qui n’intéressent qu’eux, ce n’est pas vrai du tout, vous imaginez bien qu’un compositeur qui passe 6 mois à travailler sur une pièce, la moindre des choses, c’et qu’il a envie de partager …l’émotion, c’est vraiment la clé de tout ce qu’on fait »
– Vous enseignez en Chine, pour beaucoup écouter la musique chinoise, c’est le plus souvent déjà du contemporain, si en plus vous amenez de l’électronique, comment ça se passe avec les chinois ?
« je vais vous faire une confession, c’est que la première fois, j’ai travaillé avec une étudiante, on entendra la pièce d’ailleurs, un morceau avec pipa et électronique, moi l’électronique, je connaissais très bien , le pipa, je ne connaissais pas, donc je ne savais pas comment lui corriger les problèmes de position des mains, donc j’ai appris aussi, vous savez mon prof me disait une chose qui est fondamentale pour l’enseignement, il me disait, moi j’enseigne parce que je suis avec des jeunes compositeurs qui ont plein d’idées mais pas beaucoup d’expérience, moi je suis plus vieux et j’ai moins d’idées… »

Le premier concert de cette 35ème édition aura lieu le 17 novembre au Conservatoire National à rayonnement Régional à Nice dans le cadre des concerts « Kosma » avec un récital de piano contemporain de Mark Foster, des œuvres notamment de Vykintas Baltakas, d’Igor Stravinsky qui seront interprétées avec ou sans électronique avec la technique du CIRM et aux manettes l’ingénieur du son Camille Giuglaris. Pour Mark Foster, parler de la musique contemporaine c’est être animé d’une grande curiosité comme on peut l’être face à une peinture ou une sculpture.

(c) Sergine Laloux
JP L – Parfois les gens disent musique intellectuelle, musique difficile à comprendre ?
Mark Foster : « Bien évidemment, on peut en parler en bien ou en mal, personnellement, j’en parle en bien, d’une part parce que je suis d’une grande curiosité pas seulement dans le domaine de la musique et d’autre part parce que, malgré ce que pensent certains, ça peut être une musique qui véhicule de très fortes émotions. Quand je dis émotion, je ne pense pas forcément à un emploi de Puccini où également l’émotion est véhiculée, tout comme dans les opéras de Verdi, de Mozart, de Wagner, etc.…c’est évident mais d’autres émotions sont des garanties d’un certain stimulus pas uniquement pour le cerveau, j’en suis convaincu »
JP L – Vous, en tant que musicien, vous entendez une musique donnée par un ordinateur, que se passe-t-il dans votre cerveau, où est la difficulté ou le bien être de recevoir quelque chose qu’on ne voit pas ?
Mark Foster : « La difficulté dépend de ce que le compositeur a décidé de véhiculer, comment il a programmé l’ordinateur, personnellement j’ai souvent du mal avec des musiques issues des machines mais encore ça dépend de la force d’inspiration du compositeur, je ne suis pas fermé à des recherches , des nouvelles pièces, c’est-à-dire du futur et, comme à toutes époques il y a des déchets et, rassurez vous, il y en a eu à toutes époques…on parle de Bach, de Haendel, de Telemann, de Vivaldi mais il y a des centaines de copistes baroques qui sont tombés dans l’oubli et pareil pour la période de Haydn, Mozart, Beethoven, il y en a tellement d’autres, certains sont bien… »

A souligner une forte présence d’artistes chinois avec, entre autres le concert du 28 novembre à l’Opéra de Nice pour l’air « Jiu – Hu – Zi joué par de musiciens portant le costume de la dynastie des Tang et sur grand écran, on pourra voir la reproduction de la peinture « Le Dîner de Han XiZAI ». Cette année, la décentralisation des MANCA va jusqu’au Théâtre de Grasse avec une intéressante création QUID SIT MUSICUS, une musique de Philippe Leroux, Guillaume De Machaud et Jacob de Senlèches avec la présence de sept voix, luth, violoncelle, électronique et vidéo. En préambule au concert, il y aura une projection d’une œuvre produite par l’IRCAM Centre Pompidou de Thierry Paul Benizeau « Image d’une œuvre N°18’’.
Si vous voulez sortir des sentiers battus de la musique, c’est le moment en se rappelant le mot que répète François Paris dans sa présentation des Manca : Curiosité.
Jean Pierre Lamouroux
CIRM : 04 93 88 74 68
CIRM – MANCA.org
musiquecontemporaine.fr