LA VOIE DE L’ENNEMI de Rachid Bouchareb.
Le réalisateur d’ Indigènes et de Hors la Loi, continue d’explorer les thèmes qui lui sont chers et les poursuit en les élargissant à d’autres pays dont , ici les Usa, en y abordant la question la réinsertion sociale. Condamné à 20 ans de Prison pour meurtre un ancien caïd black converti à l’Islam qui veut y parvenir, en période de probation va être confronté à un contexte hostile … le thème du polar classique revisité, avec brio , sous le ciel du nouveau Mexique .

Rachid Bouchhreb a d’ailleurs emprunté fil narratif du célèbre film Un Homme dans la ville ( 1973) du Cinéaste – Romancier Français José Giovanni dont il a exporté l’intrigue dans le nouveau Mexique et notamment dans les régions d’Albuqueque, Deming et Belem , où il a été tourné. Une Zone frontalière entre les Etas-Unis et le Mexique qui lui permet de mettre constamment en toile de fond les problèmes liés à l’émigration et d’y inscrire également cette tension , perceptible dans les rapports entre communautés . Les séquences d’ouverture qui montrent les tentatives de passages clandestins de Mexicains cherchant à rejoindre l’ Edorado Américain , doublement exposés . Ces derniers exploités à la fois par les passeurs sans scrupules qui parfois les abandonnent en pleine nature , et puis confrontés, s’ils en réchappent à une police des frontières sans pitié. Il y a aussi ces trafics de toutes sortes , et notamment de drogue qui sont à l’origine de la chute et condamnation de William Garnett ( Forest Whitaker ) qui dans une confrontation avec la police avait tué le collègue de Bill Agati ( Harvey Keitel ) le shérif local . Les 20 ans de prison dont trois de réduction pour bonne conduite soumis à probation , pourront-ils permettre le chemin vers la réinsertion à William ?.

C’est l’enjeu du film de Rachid Boucahreb, comme l’était celui du héros du film de José Giovanni que tout renvoyait à l’inéluctable … la peine de mort. Est-il possible de freiner et arrêter le couperet prêt à tomber ? . A vrai dire, dans cette Amérique de l’état du nouveau Mexique dont on a souligné les tensions, la marche de William qui tente de lever les obstacles sur son chemin pour s’en sortir, aussi fervente que l’est sa conversion religieuse, va être soumise à rude épreuve. Sa volonté de réinsertion qui se mue en quête de rédemption et va devoir se confronter à « la voie de l’ennemi » , est le dilemme au cœur du récit . Et , plus que les éléments qui sont les détenteurs des enjeux ( le shérif rancunier qui le harcèle , l’ancien complice qui tente de le ramener à lui …), c’est aussi sa capacité à y faire face et à éloigner ses propres démons , qu’ il va lui falloir affronter . Et c’est cet espace que Rachid Bouchareb explore au cœur des immenses espaces désertiques du nouveau Mexique où plane constamment le danger des fuites en avant précipitées par le harcèlement et les « pulsions » de réaction qui le replongeraient dans cette violence contre laquelle William lutte en se réfugiant dans la religion et la prière. Mais La violence dans laquelle il a plongé jadis, et celle, que la réclusion l’a contraint à intérioriser que le refuge dans la foi lui a permis de canaliser – reste fragile – soumise aux nouvelles pressions d’un contexte extérieur qui change la donne . Refusant la tentation du spectaculaire auquel le sujet peut se prêter, Rachid Bouchareb préfère se pencher sur les confrontations de caractères et les enjeux psychologiques en les exposant au miroir révélateur des paysages semi-désertiques d’une zone frontalière où un seul plan , celui de deux silhouettes au loin qui se battent, suffit à faire percevoir les éclats d’une violence lointaine qui peut revenir en gros plan… celle d’un enfer où la rédemption n’a pas sa place.

Magnifique, la séquence des retrouvailles de William avec cette mère ( Hellen Burstyn ) qu’il n’a pas revue depuis sa condamnation et qui a refusé de répondre à ses lettres ou de lui rendre visite , et qui lui explique les raisons de ce qu’il a pu percevoir comme un abandon … qui en réalité est le reflet de l’ impossibilité qu’elle a eu , à affronter une situation qui lui aurait renvoyé la culpabilité ressentie de son impuissance de n’ avoir pas su être à la hauteur pour arrêter la dérive de son fils !. Une séquence qui fait écho à cette quête d’un peu d’humanité qui cherche à se faire sa place et que symbolise , par sa silhouette bonhomme de l’ officier de probation incarné par la figure féminine ( Brenda Blethyn , magistrale ) en charge de suivre William dans son chemin de réinsertion . Et elle n’ a pas froid aux yeux , lorsqu’il s’agit de remettre l’arrogant Shérif dans ses bottes pour qu’il respecte la loi qu’elle est chargée de faire appliquer « C’est moi qui suis en charge de suivre la probation de William, décision de justice que vous devez respecter !: » , lui lance-t-elle, ajoutant, en pointant vers lui un doigt menaçant « je serai sur votre chemin si vous continuez à le harceler ! ». C’est elle qui illumine le film par ses élans d’humanité dont elle sait qu’ils vont se heurter à ces barrières ( mentales et , ou, administratives ) qui brisent les espoirs , à l’image de ce très vieux prisonnier malade et dans sa dernière année de probation, auquel l’administration refuse l’autorisation de le laisser aller finir sa vie près des siens !.

Dans un cadre où l’aridité des sentiments renvoie à celle du désert, la dame de cœur s’est trouvée une autre voie consolatrice à sa solitude , celle de Barbara qu’elle écoute le soir et qui lui chante magnifiquement les douleurs assassines. Et face à elle , et porté par ce soutien qui se glisse derrière la rigueur des règlements, william va chercher à se détacher de ces fantômes d’un passé qui le harcèlent jusque dans l’intimité d’une liaison ( visite du shérif et de son ancien complice ) qui semble prête à lui permettre de franchir le pas vers une autre vie . Face à ces démons du dehors et ceux du dedans qu’il faut conjurer en un combat douteux , Rachid Bouchareb, suit comme une ombre William qui, hormis les trois femmes, ne côtoie que le rejet et la violence d’une seconde prison dont les rayons du soleil remplacent les barreaux de la prison. Mais leur lumière ne suffit pas à éclairer celle d’ un jour nouveau qui se lèverait . Car lorsque la lumière laisse place aux couchers de soleils flambants rouges , ce ne sont pas ceux des cartes postales que propose le cinéaste …

C’est un constat d’autant plus sombre qu’empreint de cette fatalité qui renvoie au néant les élans d’une quête désespérée . Si ce n’est pas une exécution semblable à celle de la peine de mort en question dans le film de José Giovanni , c’est bien la peine équivalente d’une rédemption impossible à laquelle William se retrouve confronté. Comme une forme d’exécution cruelle à petite dose , punition suprême que rêve de lui faire vivre ce shérif assoiffé de vengeance pour qui , il n’y a pas de pardon possible …
(Etienne Ballérini )
LA VOIE DE L’ENNEMI de Rachid Bouchareb – 2014-
Avec : Forest Whitaker , Brenda Blethyn , Harvey Keitel , Luis Guzman, Dolorès Heredia, Hellen Burstyn…