Soirée exceptionnelle en présence du réalisateur Christian Richard sur le thème de l’esclavage avec le concours de l’IRD (Institut de Recherche sur le Développement) et du CIRESC (Centre International de Recherche sur les Esclavages) et le soutien de l’ADN et d’Amnesty International. C’est ce vendredi 9 mai à 20h au Cinéma Mercury.
Deux films sont au programme avec tout d’abord Trous de Mémoires, un documentaire de 52′ de Batiste Combret, Sébastien Gouverneur et Nicolas Guibert sur Bordeaux, port de la traite négrière. Toile de fond historique et questionnement contemporain : que signifie aujourd’hui être citoyen français et descendant d’esclaves ? Elisabeth Cunin, chercheuse, membre de l’IRD et du CIRESC, viendra présenter à la séance.
Puis, en deuxième partie, la projection de Le Courage des autres (1983), un long-métrage de fiction de Christian RIchard avec le grand Soutigu Kouyaté, plus impérial que jamais.
Le courage des autres, un film rare à plus d’un titre
D’abord, parce qu’il a été très peu vu, à sa sortie en 1983 ou depuis. Ensuite parce que le sujet abordé est toujours douloureux, hier comme aujourd’hui et que la forme voulue par le réalisateur d’un film sans dialogue est un choix singulier. Enfin, parce que le négatif ayant été perdu, il est une sorte de miraculé de l’histoire du cinéma.
Le Courage des autres est donc un film courageux et nécessaire, mais c’est aussi un film qui interroge l’Histoire- oh combien tourmentée- dans le plus grand respect et avec beaucoup de retenue.
La question de la traite négrière à l’intérieur de l’Afrique et les razzias opérées par certaines tribus contre d’autres pour fournir leurs contingents d’esclaves aux navires négriers a longtemps été tabou en Afrique et ailleurs. Elle bouscule la grille de lecture première qui répartit les rôles entre Blancs et Noirs et oblige à des questionnements lourds de conséquences dont les ramifications se font encore tragiquement sentir aujourd’hui.
Pour aborder cette problématique truffée de pièges et d’embûches, Christian Richard ne se lance dans aucun grand discours, bien au contraire. Il adopte dès le début un parti pris plutôt minimaliste, laissant les situations parler d’elles-mêmes sans dialogue ni voix off. Pour le spectateur, cela implique une attention particulière à l’image et la caméra lui permet justement de s’imprégner de ce qui nous est donné à voir, d’absorber les détails, de saisir aussi bien les expressions des visages ou la majesté des paysages. Le récit se déploie sans coup férir – comme on déroulerait un des ces immenses rouleaux de peinture chinoise – sans être pour autant nécessairement prévisible. Il reste une part intense de mystère que ce soit par rapport au personnage surgi de nulle part, joué par Sotigui Kouyaté ou aux relations entre les cavaliers et leurs complicespar exemple. Mais la tension la plus forte vient peut-être paradoxalement du hors champ. Hors champ absolu sur les commanditaires et la destination finale de ces hommes et de ces femmes enchaînés dont nous ne connaissons que trop bien le destin.
Altier, hiératique même sur son cheval blanc, le prince sans nom vient se livrer sciemment à ses geôliers: premier mystère. Il ne parle pas, ne résiste pas. Enfermé dans son mutisme, il commande le respect. Impeccablement joué par Sotigui Kouyaté, tout en lui nous parle de hauteur de vue et de grandeur d’âme. Le mystère se fait encore plus saisissant dans la scène du scorpion où le héros ne bronche pas et se laisse piquer tout aussi sciemment semble-t-il…Laissé pour mort, il se rétablira de la morsure ( cf les très belles scènes de soins et de guérison).
A partir de là, le film entre dans une nouvelle dynamique avec un rythme plus soutenu. La victime apparemment consentante va se transformer sous nos yeux en un redoutable guerrillero solitaire..Habile, invisible, insaisissable, il va déstabiliser l’ennemi et bientôt organiser la révolte.
Malgré l’absence de paroles, «Le courage des autres» n’est pas un film muet pour autant. Christian Richard a apporté un soin extrême à la bande-son. Sous la lumière blanche de chaleur, la vie s’exprime avant tout dans les sons: le vent dans les herbes de la savane, le bruissement des insectes, les sabots des chevaux, les fers des prisonniers, etc… tout fait sens dans un dialogue constant avec l’image elle-même. Le travail du bruiteur, Jacky Dufour est à ce titre remarquable de justesse. Nul besoin d’expliciter davantage. Au contraire. On le voit, Christian Richard est adepte du « moins = plus » et ça marche.

La musique quand à elle, bien que discrète, est loin d’étre absente du film. Elle habite et trancende les plans d’ensemble où la longue file des prisonniers se met lentement en branle dans sa marche laborieuse. Ce sont visiblement des chants traditionnels qui disent sans doute la peine et relatent peut-être ces expériences anciennes. Mais là non plus, nous n’en saurons rien, à moins de comprendre la langue originale, pas de sous-titres qui viendraient expliquer quoi que soit. Nous sommes plongés dans l’émotion du chant et la force de l’image en est d’autant plus vive.
Dans la même veine, le film est construit sur une espèce de degré zéro de la psychologie des personnages. Pas de phase d’introduction ou d’exposition, aucune donnée sur l’histoire, le passé des uns et des autres, les circonstances qui ont fait que. Nous sommes dans un récit brut. Chacun est dans son rôle. C’est tout. Et c’est justement ce qui donne cette force tranquille ( si j’ose dire) à tout le film. Malgré l’horreur des situations, pas d’outrance, pas d’emphase. Le récit est poignant de par son dépouillement même. De là, une puissance singulière, surprenante, véritable caractéristique de ce film porté par une respiration ample, empreint malgré tout d’une ceraine douceur, peut-être grâce à ce rythme tout en souplesse où la moindre variation est perceptible. On a rarement vu au cinéma un sujet aussi chargé émotionnellement traité avec autant de sobriété.
On comprend que d’aucuns, nombreux par ailleurs, auraient préféré quelque chose de plus tonitruant, avec de multiples effets bien appuyés, une dénonciation démonstrative avec force tremolos à la clef. Christian Richard a choisi le parti-pris inverse et ce n’est pas son moindre mérite. Tout sonne juste dans « Le courage des autres » à commencer par les costumes et les couleurs jusqu’aux armes et aux entraves des prisonniers sans qu’à aucun moment nous ne soyons dans le documentaire, ni même le docu-fiction pour employer un terme qui n’existait sans doute pas au moment où le film a été tourné. Nous sommes dans la vérité de la fiction avec sa force de conviction propre dans la tentative de regarder l’Histoire en face. Ce n’est pas rien et c’est ce qui rend ce film singulier profondément nécessaire.
Josiane Scoleri
Cette soirée a lieu le vendredi 9 mai 2014 à 20 heures au Mercury