Jérôme Robbe jette un pont sur des eaux troubles. La traduction littérale du titre de cette exposition de l’artiste à la galerie Espace à vendre à Nice, intrigue autant qu’elle incite à traverser ce pont.
« Bridge over troubled water » est une référence à la chanson de Simon et Garfunkel au titre homonyme, un splendide poème sur ce que doit être l’amitié.
Les œuvres présentées rue Assalit sont de grandes surfaces brillantes de couleurs (bleues, vertes, cuivres…), traversées tantôt par des reflets irisés, parfois par des crevasses venant fissurées le vernis glacé. Les surfaces ondulent, se craquèlent et le regard parcourt ces mouvements de terrain comme un mystère à percer. Image lunaire ou d’une planète à découvrir, d’un ciel en mouvement. Ces nuages qui passent, se font et se défont, se reflètent dans les glaces, dans les eaux. Ces eaux troubles semblent appartenir alors à une autre dimension imaginaire où la perception se fait au travers de ce prisme naturaliste. L’artiste travaille son matériau, le forme et le déforme jusqu’à le laisser vivre et acquérir une certaine d’autonomie. Pas de trace de lui mais seulement le visage des visiteurs qui se reflètent dans les surfaces et se perdent dans les ornières, les soubresauts de lumière. Seuls face à l’œuvre, plongés à notre insu dans notre imaginaire.
Robbe se situe « entre une tradition moderniste de l’absolu de l’art, libéré de toute référence externe : en tant que pur traitement d’un matériau spécifique et la rupture avec cette tradition opérée par Rauschenberg qui s’oppose à toute forme d’autonomie de l’œuvre » écrit Elodie Antoine dans le texte de présentation de l’exposition. Depuis ses débuts, sa recherche artistique est animé par un travail sur le matériau et l’expression de la vie dans l’art. Le ready-made et dadaïstes, le pop art, le groupe support/surfaces… ont chacun à leur manière travaillé sur des objets ou images du quotidien, des matériaux qui n’étaient pas voués dans leur fonction originelle à la réalisation artistique d’une œuvre d’art. L’artiste se place donc quelque part dans cette lignée. Les œuvres de cette série intitulée « L’Air de rien » continuent ainsi de vivre, par leur structure, leur matière, et par l’imaginaire qu’elles évoquent. Il réinvente une manière de peindre avec le temps et sur le temps.
Ce work-in-progress délicat et subtil ne doit pas fermer la porte à l’interprétation. Si certains artistes contemporains par une conceptualisation trop prégnante de leurs œuvres se coupent du monde pour se scléroser au sein d’un petit cercle d’initiés, Robbe évite cet écueil en intégrant à son travail les yeux du regardeur dans lesquels son œuvre se construit, trouve une vérité unique à chacun dans cette recherche philosophique de l’absolu.
« Comme un pont sur des eaux troubles / J’apaiserai ton esprit ». Simon et Garfunkel terminait leur chanson ainsi.
Julien Camy
Bridge over troubled Water, de Jérôme Robbe – jusqu’au 12 avril
Galerie Espace à vendre, 10 rue Assalit, 06000 Nice