Théâtre / Qu’est ce qui fait avancer Jean-Jacques Minazio ?

Scènes de la vie théâtrale niçoise chapitre 3   

Minazio 2

Notre invité, Jean Jacques Minazio, s’est « frotté » à des auteurs gigantesques,
Diderot (Jacques et son maître) Voltaire (Zadig) et il ne lui déplaît pas de venir boire à nouveau à leur source.
Mais il nous parle aussi du statut des intermittents du spectacle qu’il est important de protéger.
Entretien. 

Pourquoi ces grands auteurs ont toujours autant d’importance pour toi ?
C’est un grand plaisir de reprendre les textes que l’on a déjà travaillé et de se remettre à l’ouvrage quelques années après. Les années passant, on redécouvre des choses. Ce sont des textes tellement riches, subtils et tellement d’actualité.

Qui est-ce qui te motive dans le théâtre, te pousse ?
C’est essentiellement le travail en troupe. Je ne peux pas concevoir, même en ce moment où je travaille ave une équipe réduite depuis  deux-trois ans, je ne pourrais pas concevoir de travailler réellement seul. Le théâtre, une fois la création bouclée, se confronte au public. Mais avant même que cela soit un échange avec le public, c’est une confrontation – tout ce qu’il y a de plus amicale, bien sûr- avec une équipe, avec différents corps de métiers… Bien sûr pour chacun d’entre nous il y a une part qui se fait seul, mais après ce qui est intéressante c’est l’échange. Après, quant aux formes de théâtre, quant au répertoire que je peux aborder, je suis très instinctif : je n’ai pas de règles, de méthode… Je peux tout aussi bien déclencher une idée, une envie, un projet sur un auteur, sur une personne, sur un personnage, sur un lieu, car j’aime beaucoup travailler en fonction des lieux.

Peux-tu nous donner un exemple ?
Minazio 3Des exemples j’en ai beaucoup, mais le plus bel a été le spectacle inspiré de l’œuvre entière et de la vie de Shakespeare que nous avions joué il y a quelques années. Ce spectacle est né à partir du lieu qu’est l’abbaye de Valbonne. Scénographie, dramaturgie, personnages, parcours géographiques, tout a été dicté par le lieu, et travaillé en équipe : scénographe, assistant, et les comédiens, bien sûr, danseurs, circassiens, puisque l’une des particularités de mon travail, depuis très longtemps, et d’être absolument ouvert à toutes les formes d’art, à tous les langages.

A propos du rapport entre un lieu et une création, il y a aussi tes travaux au Centre Culturel de la Providence.
Là il y a une double idée : en 2009 on démarre l’idée de faire un travail sur Shakespeare. On crée Muséum Théâtre pour la ville de Valbonne, et sorti du Muséum Théâtre on se dit que c’est dommage de ne pas pouvoir faire un même travail avec d’autres lieux avec des configurations différentes. J’en avais parlé avec Frédéric Rey, qui dirige  la programmation théâtre. Frédéric avait vu Muséum : il avait été conquis, on a décidé de reprendre ce travail. Mais à Valbonne cela se déroulait sur quatre espaces, des centaines de mètres carrés : le pré, la rivière, la cour, le réfectoire des moines… Et là, pour La Providence, on a décidé de reprendre un travail sur Shakespeare, mais dans un nouveau lieu, avec un petit peu moins de comédiens : on est passé de l’idée du muséum à l’idée du Cabinet de curiosités1. J’ai poussé l’idée jusqu’à finir avec deux comédiens pour des tous petits lieux et là, le troisième spectacle de la trilogie, Tea Time, mettait en jeu la confrontation entre Shakespeare et d’un valet imaginaire de Shakespeare. On a poussé l’idée jusqu’au bout : à la fois autour du travail de Shakespeare et l’idée d’exploiter des lieux qui nous étaient donnés.

Il y a aussi des personnages auprès desquels tu as des liens affectueux : Montalban² et Pepe Carvalho3
Je me suis rendu compte en travaillant Montalban qu’il y avait quelque chose chez lui qui me touchait particulièrement, ce précepte qui l’a conduit toute sa vie, ce mélange de culture et de sous-culture. Il avait l’habitude de dire : je suis un métis, je peux aussi bien aimer le boléro que les poèmes de Pavese, les bas-fonds de Barcelone et puis des œuvres d’art. Il disait : je suis nostalgique des airs que j’entendais à la radio, enfant, mais si vous voulez que je vous parte de Kant et de Hegel, je peux le faire. Et Shakespeare écrivait à la fois pour les gens du peuple et aussi pour les gens plus érudits.

Récemment est revenue sur le tapis la lutte entre le MEDEF et les intermittents du spectacle. Quelle est ton analyse ?

Minazio 1

Ce sont des événements totalement récurrents qui sont je dirais pratiquement endémiques depuis quasiment cinquante ans qu’ils sont là, avec lesquels on vit.

Simplement, aujourd’hui, nous vivons dans une société de plus en plus dure, le grand écart se fait entre les nantis et les non-nantis. Il y a des gens qui veulent continuer à pratiquer ce qu’ils ne pratiquent pas seulement avec les intermittents, mais avec toutes les classes laborieuses de la société. Ils veulent amener tout le monde de plus en plus à une flexibilité, à une précarité de manière à faire ce qu’il veulent, quand ils le veulent. 

Le régime des intermittents existe depuis 50 ans. On le croit un régime de privilégiés, c’est complètement faux. Le seul privilège que nous avons dans notre métier c’est de faire un métier que nous aimons. Ca c’est réellement un privilège de se lever tous les matins en rêvant de créer, tous les soirs de se coucher en pensant à ce qu’on  créé. Pour le reste, c’est une désinformation totale : le public, en général, ne connaît pas ces métiers, qui demandent beaucoup d’investissement, de travail. C’est sûr qu’on ne pousse pas des wagonnets au fond de la mine…

J’étais en train de me dire, juste avant que l’on se rencontre, que je faisais de théâtre depuis 40 ans, 30 de manière professionnelle ; hors une période où j’ai été permanent, j’ai toujours été intermittent. Et, arrivé à l’automne de la vie… C’est un métier qui est loin de l’imagerie ou de la représentation que s’en fait le public. Il n’a aucune idée du temps passé dans la conception, dans les répétitions. C’est un métier qui, curieusement, est dans la lumière, mais aussi dans l’ombre.

Que travailles-tu actuellement ?
J’ai un projet qui me plait beaucoup, qui me touche beaucoup, de me retrouver sur une scène avec Paul Laurent. Nous avons fait ensemble une lecture en début d’année, d’un très beau texte de Marie-Hélène Clément, L’Interrogatoire, et nous sommes à la recherche d’une production et on a pour objectif un jour ou l’autre de monter le spectacle.

Jacques Barbarin

1 Un cabinet de curiosités était un lieu où étaient entreposés et exposés des objets collectionnés, avec un certain goût pour l’hétéroclisme et l’inédit. Apparus à la Renaissance en Europe, les cabinets de curiosités sont l’ancêtre des musées et des muséums
²Manuel Vázquez Montalbán (1939-2003) est un romancier surtout connu pour ses romans policiers ayant pour héros Pepe Carvalho. Personne inclassable, il se définissait lui-même comme un « journaliste, romancier, poète, essayiste, anthologiste, préfacier, humoriste, critique et gastronome », ou plus simplement comme « un communiste hédoniste et sentimental ».
3Pepe Carvalho est un personnage de fiction créé par l’écrivain Montalban. Après une vie politique assez tourmentée, il devient détective privé à Barcelone. Il est entouré de Biscuter, homme à tout faire et cuisinier rencontré dans les prisons de Lérida et de Charo, son amie, prostituée indépendante à Barcelone. Carvalho n’est pas uniquement détective, il est aussi gastronome et souvent au fourneau. Ses bons repas, même solitaires, commencent invariablement par le choix d’un bon livre à brûler…

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