Au cœur de l’Amérique profonde de la crise économique, le rêve brisé de deux frères qui tentent de survivre face à la violence qui gangrène la société. Un portrait sombre et sans concessions du comédien-cinéaste de Crazy Heart ( 2009 ), qui s’inscrit dans la droite ligne d’une littérature et d’un Cinéma Américain qui se sont penchés sur les laissés pour compte de la société, et n’ont cessé d’explorer les failles et les zones d’ombres de l’histoire passée ou présente du pays . Après le récent Fruitvale Station de Ryan Coogler, Scott Cooper pour son second film derrière la caméra, confirme que la génération émergente des jeunes cinéastes Américains, sait rester attentive au monde qui l’entoure et résister , avec talent , aux sirène d’un certain cinéma formaté . Rassurant …

Nous sommes en plein cœur du Nord-Est des Etats qui subit les contrecoups de la crise économiques des années 2000. La ville de Braddock en Pennsylvanie , c’est là que vivent Russel ( Christian Bale ) et son jeune frère Rodney( Casey Affleck), dans cette région où vie de la population ouvrière s’est inscrite , comme eux , au rythme de l’Usine d’Acierie dans laquelle leur père ( Sam Sheppard ) y a passé sa vie de labeur. Aujourd’hui qu’avec la crise la donne a changé et que les difficultés guettent , si son frère persiste à vouloir s’accrocher au travail dans l’usine d’une industrie qui périclite , Rodney ne veut pas se résoudre à y sacrifier sa vie, comme l’a fait son père. Alors, après de vaines tentatives pour trouver une porte de sortie, au retour de la guerre en Irak qui a été le terrain d’une expérience d’autant plus traumatisante, qu’ elle ne lui vaudra aucune reconnaissance « j’ai donné ma vie au pays , qu’est-ce que j’ai reçu ne retour ? » dira-t-il , se voyant sombrer dans une violence qui le rattrape et l’aspire, via les contraintes dans lesquelles vont l’entraîner, malgré l’aide de son frère , des dettes et des engagements consentis a des gens peu recommandables , dont le fond de commerce est fondé sur l’ engrenage entretenu d’une violence de soumission.

Une Mafia souterraine organisant ses trafics et ses combines , à l’image de ces combats de boxe clandestins dans lesquels , pour payer ses dettes, Rodney va devoir se plier. Et pas question de se défausser , au risque d’y compromettre sa vie… le chef de « clan » ( Woody Harrelson ) y veille avec un cynisme dont les excès de la démesure ( à l’image de la scène d’ouverture du film prémonitoire) , en disent long sur la nature profonde d’une violence dont les origines sont inscrites dans cette « Naissance de la Nation » dont D.W Griffith a raconté la saga. Celle dont le cinéma Américain , après la littérature qui en a entretenu la légende ( les romans de Fenimore Cooper/ Le dernier des Mohicans), puis les spectacles de cirque où les cow- boys de légende étaient mis en valeur , dont Robert Altman dans Buffalo Bill et les indiens ( 1976 ) a décrit l’impact dans l’inconscient collectif, que le cinéma ensuite , a relayé depuis ses premiers balbutiements , via le Western ( The Great train Robbery ou Le vol du Grand rapide de Edwin Staton Porter et Wallace McCutcheon -1903 ) . Ou encore, avec les genres ( Polar, mélodrames, comédies , fresques historiques, drames sociaux …) qui ont traduit les multiples facettes témoignant de la réalité profonde de cette violence qui constitue la matrice originelle sur laquelle s’est crée , la nation .

Une violence qui a continué à se diffuser dans la société au gré des événements , comme celle qui a fait suite à la crise économique de 1929 dont le cinéma des années 1930 a décrit les conséquences ( misère , crise sociale et morale , banditisme , Prohibition et économie parallèle des mafias …) , et à laquelle le film -ici- fait écho au travers de l’itinéraire des deux frères . De la même manière qu’il fait écho via le personnage de Rodney et de son exclusion suite à son retour d’Irak, à toute une filmographie qui de la seconde guerre mondiale jusqu’à la guerre du Vietnam , s’est fait l’écho du mauvais sort réservé aux vétérans qui ont servi la patrie. Sans oublier, le décalage qui s’est accentué au fil des décennies , entre une Amérique profonde laissée à l’abandon de la réussite économique d’hier ( et de la mondialisation d’aujourd’hui ..) , et celle qui en a récolté les fruits. Ou encore, via la référence faite aux réflexes d’un retrait sur soi et ( ou ) au sein d’un clan ( famille, communauté …) qui accentue les rejets, les discriminations et les manifestations de violences sans oublier, celles du racisme.

Cette matrice originelle d’une violence omniprésente, c’est le défi du film et des auteurs qui la mettent au cœur du récit pour en faire le moteur d’une réflexion qui fait écho aux questions que soulèvent la manière dont celle-ci explose aujourd’hui ( et dont les médias se font l’ écho des tragédies quotidiennes qui se banalisent ) et qui est doublement révélatrice, par les multiples aspects qu’elle peut revêtir ( zones de non-droit , impuissance des autorités …), d’un malaise profond , dont le cinéma n’a cessé de poser la question essentielle : est-il possible de se défaire de l’engrenage ?.
D’autant que la résistance est forte dans les esprits imprégnés par la radicalité des réflexes conservateurs d’une Amérique profonde dont le film brosse , ici , un portrait pas seulement inquiétant ( le constat d’impuissance du chef de police / Forest Whitaker ), mais franchement hallucinant par sa totale noirceur qui nous plonge dans un Voyage au bout de l’enfer, sans portes (?) de sorties .

A cet égard le Voyage au bout de l’enfer de Rodney dans les profondeurs de la forêt inhospitalière où se terrent les malfaiteurs à l’abri de la loi , fait volontairement référence au film de Michaël Cimino , mais aussi au Délivrance de John Boorman . Les auteurs s’inscrivent dans la continuité d’une analyse qui , à la manière d’un Gus Van Sant dans Elephant ( Palme d’or Cannes / 2003 ) continue de traquer les racines d’un mal qui perdure , et dont le pays n’est pas prêt à affronter le véritable visage . A l’image de ces questionnements interminables – et jamais résolus malgré les tragédies qui y sont liées – sur la vente et l’utilisation d’armes à feu , et ( ou ) à sur l’auto-défense .
Au delà des qualités de mise en scène et du travail des comédiens qui la servent ( un beau casting ) , la vraie réussite du film, tient dans cette démarche des auteurs de s’inscrire dans une volonté de relecture des codes et des formes d’une esthétique de la violence pour en révéler les nouveaux habits dont elle pare sa silhouette destructrice.
La crise étant le creuset dans lequel elle puise son venin pour le diffuser comme une arme … au bout du canon d’un fusil dont le doigt est prêt à appuyer sur la détente !. Effrayant, on vous dit …
(Etienne Ballérini )
LES BRASIERS DE LA COLERE de Scott Cooper -2013-
Avec : Christian Bale , Casey Affleck, Woody Harrelson , Willem Dafoe, Forest Whitaker ,
Sam Shepard , Zoe Saldana …