Edouard MOLINARO, du polar à la comédie … un des grands artisans du cinéma français .
Après Georges Lautner un autre grand du cinéma Populaire Français des 50 dernières années s’en est allé . Vaincu par une insuffisance pulmonaire le cinéaste de gros succès publics comme Oscar , Mon oncle Benjamin , l’Emmerdeur , Le Souper , Beaumarchais l’insolent et bien sûr La cage aux Folles 1 et 2 , qui a tourné avec les plus grands comédiens Français, a donc quitté la scène à l’âge de 85 ans.

Natif de bordeaux ( en 1928 ) il s’intéresse très vite au cinéma et se lance dans les courts métrages d’amateurs , puis passe par le métier d’assistant -réalisateur ( notamment d’André Berthomieu… ) pour parfaire une formation technique qui va lui permettre de franchir le cap de la réalisation en 1957 avec Le Dos au Mur une comédie dramatique policière où apparaissent les deux tendances de sa filmographie et qui bénéficie d’un
« casting » prestigieux , devant et derrière la caméra . Avec au scénario et à l’adaptation Frédéric Dard dont le film est l’adaptation de son roman Délivrez nous du mal, et comme assistant metteur en scène un certain Claude Sautet, et Gérard Oury comme comédien entouré de Jeanne Moreau , Jean Lefebvre et Philippe Nicaud, entr’autres.

Le jeune cinéaste va enchaîner avec des Polars dont la modernité et la tonalité rythmique où la gravité s’inscrivent, comme dans Des femmes disparaissent (1958), Un Témoin sur la ville ( 1959) ou le superbe La mort de Belle ( 1961) d’après Georges Simenon avec Jean Desailly et Alexandra Stewart qui servent à merveille une mise en scène ou le mystère se mêle à la poésie . On décèle chez le jeune cinéaste cette originalité de ton qui sera la marque d’un cinéma Français des années soixante qui dans le sillage de la Nouvelle vague – et y compris dans la veine populaire- se renouvelle comme on l’a dit ici ( voir l’article de Gérard Camy sur Georges Lautner ), et dans laquelle Edouard Molinaro s’inscrit .
Et qui va lui permettre après l’insuccès immérité de La Mort de belle de franchir le cap vers la comédie et d’y insuffler le sens du rythme , celui des comédies Américaines qu’il admirait ( Howard Hawks….) et d’une légèreté qui fait mouche à l’image du joli pastiche de l’oeuvre de Michel Leblanc : Arsene Lupin contre Arsène Lupin ( 1962) qui se perfectionnera avec le superbe La chasse à l’homme (1964) où font merveille Jean-paul Belmondo, Jean Claude Brialy , Claude Rich , Bernard Blier face aux « nanas» : Marie Laforêt , Catherine Deneuve , Françoise Dorléac, Marie Dubois, Bernadette Lafont. Et où la satire sociale fait mouche dans ce chassé-croisé hommes-femmes en forme de guerre des sexes anticipant les revendications de l’après 1968, orchestrée par les dialogues savoureux de Michel Audiard avec lequel la collaboration se poursuivra dans Quand passent les faisans( 1965).

Dès lors le cinéaste va poursuivre dans cette direction qui va lui permettre de rencontrer le grand public et remporter d’énormes succès au Box office comme ceux , entr’autres de L’emmerdeur ou de la cage aux Folles 1 et2 , qui lui valut d’être reconnu outre-atlantique ( Nomination aux oscars en 1980 ) . C’est une période faste pour le cinéaste qui se concrétisera par des réussites indéniables et d’autres dont l’accueil critique fut plus réservé .

Il faut dire que la nécessité d’un cinéma commercial fondé sur la popularité des acteurs , ces monstres sacrés parfois difficiles à apprivoiser , n’est pas toujours évidente. Mais Edouard Molinaro savait aussi trouver l’astuce pour les maîtriser et utiliser leurs « égos » pour les faire entrer dans son « tempo » , comme ce fut le cas pour Ugo Tognazzi la star Italienne lors du tournage de La cage aux folles , ou encore , pour Oscar avec Louis De Funès qui avait besoin de sa « claque » sur le plateau pour rire à ses mimiques !. Edouard Molinaro était un de ces artisans qui ne s’en laissent pas compter … et d’ailleurs le plus souvent les collaborations furent chaleureuses avec ses comédiens , comme par exemple Lino Ventura , Claude Rich ou encore Jacques Brel pour lequel après deux belles réussites ( Mon oncle Benjamin et l’ Emmerdeur ) , il fut conseiller technique pour le passage du comédien- chanteur, à la réalisation avec Frantz ( 1971).

Edouard Molinaro et son humilité qui le faisait se revendiquer comme un « artisan » du cinéma dans le bon sens du terme , se concrétisait aussi par une grande exigence dans le travail et surtout l’envie de ne pas se laisser enfermer. Comme en témoigne en pleine période de succès grand public sa volonté de surprendre son monde et d’alterner avec des sujets et des thèmes moins légers , comme par exemple La liberté en croupe (1970 ) où il est question de la liberté sexuelle de l’après 1968 , Les aveux le plus doux (1971) sur les pressions et abus de pouvoir policier , L’Ironie du Sort (1974) sur le sacrifice d’un résistant pour sauver ses camarades en danger , ou encore , L’Homme pressé ( 1977) adaptation réussie du roman de Paul Morand .

De la même manière qu’il saura dès le début des années 1980 , en parallèle avec ses réalisations cinéma , se tourner vers la télévision et y poursuivre sa carrière avec de belles réalisations ( Au Bon Beurre, La veuve Rouge , Les Grandes familles, La femme abandonnée , Une famille comme les autres…. ) et apporter sa contribution a des séries ( Claudine d’après Colette , Navarro , H , Les hommes de cœur, Le tuteur… ) . la télévision où après son dernier film pour le grand écran Beaumarchais l’insolent ( 1996) avec Fabrice Lucchini , il continua à travailler à travailler .
Edouard Molinaro qui –ironie du sort-comme Georges Lautner n’a pas connu la reconnaissance de la sélection Cannoise , mais dont celle du public ne s’est jamais démentie, la plus belle des récompenses pour un cinéaste … A gauche en sortant de l’ascenseur ( 1988 ), la porte du paradis des artistes t’attend , pourrait lui glisser à l’oreille , Pierre Richard l’ interprète du film.
(Etienne Ballérini )
Quel emmerdeur, mon oncle Benjamin, à souper avec Oscar et à vouloir enfermer cet insolent de Beaumarchais dans une cage ô combien folle! Maintenant, le voilà le dos au mur : quelle ironie du sort pour cet homme pressé!