Après avoir vu le spectacle dont je vais vous parler, je me suis dit : Bon. Tu peux repartir. Jamais tu ne verras un spectacle aussi intense. Et de spectacles, j’en vois. Une moyenne de cent par année. Mais là… Pour vous dire, en sortant, j’avais les jambes qui flageolaient et le teint livide. C’est une pièce qui demande une grande exigence et les comédiens l’ont eue, voire au-delà.
Il s’agit de Dans la solitude des champs de coton, Bernard Marie Koltès. Cette œuvre met en scène un dealer et un client, dans une situation de deal. Le dealer sait que le client désire – est dépendant de – quelque chose qu’il (le dealer) peut lui offrir. Il est cependant dépendant lui aussi du désir du client.

D’où l’analyse de Koltès sur les rapports commerciaux et le marché en général. Plus encore, le rapport humain en général est réduit à un marché entre deux protagonistes. L’auteur multiplie les couples d’opposition (dealer/client, homme/animal, mâle/femelle, blanc/noir…). À l’intérieur de ces couples, un seul rapport est possible : le deal. Le deal se fait alors matrice, tendeur de toute l’action de la pièce. Il sous-entend alors rapports de séduction, d’intimidation, de confrontations sourdes.
Mais tout cela, ce sont des mots : sur scène, c’était des corps, de la chair, de la voix. Corps, chair, voix, et rien d’autre : c’est là le décor. Suffit-il d’autre chose ? Oui. Les remarquables lumières de Jean – Gabriel Valot, autant d’instillations, la partition sonore de J-Kristoff Camps, on est loin de la musique de scène
Les échanges de la parole sont tendus comme un arc prêt à se rompre, on voit la vibration, on en est irradié. On ose même plus parler de la notion de « jeu » d’acteur, ce n’est pas un jeu, mais une nécessité. Cette nécessité monte en intensité, suivant, ou plutôt vivant le texte comme une partition. Ce classicisme de la déraison de vivre qu’est la langue de Koltès, les acteurs en font leur pain.

Des deux acteurs, les niçois en connaissent un : c’est Frédéric de Goldfiem, acteur rare. Son élégance à vivre la scène me fait douter qu’il puisse faire autre chose si le théâtre n’existait pas. Par bonheur, nous n’en sommes pas encore là.
Dans la partition de dealer, c’est Christophe Laparra. C’est lui le « proposant », et il est toujours dans la captation de l’attention du client. Les deux signent également la mise en scène.
Je n’ai pas vu La solitude… joué par Chéreau et Pascal Gregory, juste une captation télé. Mais là nous somme à niveau.
Jacques Barbarin
Dans la solitude des champs de coton, Fabrik’Théâtre, jusqu’au 31 juillet, 10, route de Lyon, impasse Favot 04 90 87 81